De Balzac à Camus, florilège des plus belles bourdes linguistiques commises par les maîtres de la langue française.
Le 10 décembre 1913, un critique littéraire nommé Paul
Souday s’en prit à Marcel Proust et à aux fautes de conjugaison qu’il
avait trouvées dans «Du côté de chez Swann». «Visiblement, les jeunes ne savent plus du tout le français, écrivit-il. La langue se décompose, se mue en un patois informe et glisse à la barbarie.»
On
trouve ça dans «les Plus jolies fautes de français de nos grands
écrivains», délicieuse compilation d’Anne Boquel et Etienne Kern. Les
deux professeurs de lettres ont fouillé le patrimoine, stylo rouge à la
main. Ils montrent que, bien avant Proust et bien après lui, la langue
canonique a été malmenée par nos plus grands créateurs, de Voltaire à
Koltès en passant par Flaubert ou Camus. (Mention spéciale pour Balzac,
le cancre en chef de ce recueil, qui mériterait un livre à lui tout
seul.)
Fautes d’orthographe, d’accord, de conjugaison, de syntaxe, de temps,
pléonasmes, mots inventés, mal choisis, phrases insensées: ils ont
commis tous les crimes. Parfois munis d'intentions nobles, comme
Flaubert qui ne voulait pas écrire comme un «vieux pédagogue». Parfois parce qu'ils étaient nuls en français, tout simplement.
On
a sélectionné quelques-unes de ces bourdes. A quelques exceptions près,
on a laissé de côté les fautes d’inattention, trouvées dans les
manuscrits ou les correspondances, pour privilégier les erreurs qui ont
survécu aux relectures et figuré dans les éditions originales (la
plupart de ont été corrigées depuis).
Pour les explications et
corrections, on renverra à l’ouvrage de Boquel et Kern, excellente
occasion de réviser les règles de notre langue, pour qui voudrait éviter
d’écrire comme un cochon, ou comme Balzac.
"Les Plus jolies fautes de français de nos grands écrivains"
par Anne Boquel et Etienne Kern
Payot, 166 p., 12 euros
♦♦♦
Mon cher philosofe […], je m’imagine que le termomètre de votre apartement est comme le mien, tout près de l’eau bouillante.
Voltaire, Correspondance
Dans dix ans, j’aurai la plus belle clientelle de Paris.
Balzac, «Un début dans la vie»
Un jeune montagnard, près d’une jeune fille,
Sur la même racine étaient assis tous deux.
Lamartine, «Jocelyn»
Nous
allions nous mettre à table devant le grand feu de la haute cheminée où
rôtissaient un râble de lièvre flanqué de deux perdrix qui sentaient
bon.
Maupassant, «Un réveillon»
Le souvenir de ses tripotages dans les gouvernements républicains lui nuisirent (...)
Balzac, «la Vieille fille»
Il
est distrait au volant de son auto et laisse souvent ses flèches de
direction levées, même après qu’il ait effectué son tournant.
Camus, «la Peste»
Dans toutes les armées du monde, on pallie généralement au manque de matériel par des hommes.
Eau, quand pleuveras-tu ?
Une fois les poissons ramenés dans la barque, il s’en distraya.
Duras, «les Petits chevaux de Tarquinia»
Jusqu’à ce qu’il s’en aille en cendre et se dissoude.
Hugo, «Dieu»
Quelle joie de voir une pervenche poindant sous la neige !
Balzac, «l’Interdiction»
La compatissance et la tendresse d’une jeune fille possèdent une influence vraiment magnétique.
Balzac, «Eugénie Grandet»
Le père Goriot regarda tristement son ouvrage d’un air triste (…)
Balzac, «le Père Goriot»
C’est ce que je demande, s’écria-t-elle, en se levant debout.
Stendhal, «le Rouge et le Noir»
Tout le mal n’est que dans ces cinq lettres B, R, U, L, A, R, D, qui forment mon nom.
Stendhal, «Vie de Henry Brulard»
Nos discussions portaient surtout au sujet de l’éducation de nos enfants.
Gide, «Robert»
Le bruit du galop de son cheval, qui retentit sur le pavé de la pelouse, diminua rapidement.
Balzac, «Une ténébreuse affaire»
- Il est onze heures, répéta le personnage muet (…)
Balzac, «la Bourse»
[La femme de chambre] lui cria deux mots à voix basse.
Balzac, «la Muse du département»
[Il] l’atteignit si furieusement de son poignard qu’il le manqua.
Balzac, «la Femme de trente ans»
De nouveau, elle leva un bras qui ne semblait pas faire partie de son corps: un reptile hésitant dont la main eût été la tête.
François Mauriac, «les Anges noirs»
- Ah ! dit Don Manoël en portugais.
Dumas, «le Collier de la Reine»
***